Par définition, le cuistre prospère sur le terrain des arts des lettres et des sciences. Ce n’est pas un des moindres effets de la récente popularité des débats sur le droit d’auteur, ce qui est bien, que de libérer des esprits qui se dissolvent au grand air comme autant d’élans verbeux. Ce qui constitue sans nul doute un prix à payer.

L’esprit alerte, tout au plaisir d’y aller pointer mon nez et mes oreilles, je me suis rendu un jour d’avril à une conférence organisée sous l’égide de Sciences Po et intitulée : “Pas de créateur sans droit d’auteur?”, heureux que la prestigieuse école de la rue Saint Guillaume consacre un colloque à la question du droit d’auteur.

Le droit n’a finalement d’intérêt que d’un point de vue politique. Sinon ce n’est que de la police.

Je voudrais le dire de façon plus amène, mais j’ai été consterné par l’extrême médiocrité et l’extrême démagogie du débat, malgré les excellents Messieurs Vivant et Chantepie.

Comment Madame Heinich, directeur de recherche au CNRS, sociologue des professions artistiques et des pratiques culturelles peut-elle déclarer sérieusement, sans même être contredite, que “Beaumarchais a fondé la SGDL” puis résume le droit d’auteur comme un mode de résolution d’un conflit entre une exigence de rémunération des créateurs et une volonté de gratuité du public.

Beaumarchais a fondé le Bureau de législation dramatique en 1777. C’est l’ancêtre de la SACD, société des auteurs et compositeurs dramatiques, évidemment. Ce n’est pas pour faire le cuistre, cela a son importance et l’erreur de Madame HEINIG – non pas un simple lapsus – ne laisse pas d’être inquiétante parce que justement, le droit d’auteur permet d’abord de résoudre un conflit entre des auteurs et ceux qui en exploitent les créations, les éditeurs, producteurs, diffuseurs. Beaumarchais n’a rien revendiqué contre le public, mais au contraire, au nom du public et de son intérêt, a revendiqué pour les créateurs la propriété sur les œuvres dramatiques que la Comédie française voulait s’approprier. C’est en s’alliant un public mythifié que Beaumarchais et à sa suite Le Chapelier en 1791 fondent le droit d’auteur moderne:

« (…) La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, et si je puis parler ainsi, la plus personnelle de toutes les propriétés, est l’ouvrage, fruit de la pensée d’un écrivain ; cependant c’est une propriété d’un genre tout différent des autres propriétés. Quand un auteur a livré son ouvrage au public, quand cet ouvrage est dans les mains de tout le monde, que tous les hommes instruits le connaissent, qu’ils se sont emparés des beautés qu’ils contient, qu’ils ont confié à leur mémoire les traits les plus heureux, il semble que dès ce moment, l’écrivain a associé le public à sa propriété, ou plutôt lui a transmise toute entière ; (…)  »

Le droit d’auteur trouve ses fondements et sa légitimité dans la place spéciale faite de tous temps par le Prince au monde des formes et des représentations qui assurent une sorte de langage commun et la pérennité du contrat social. Sans une créance d’accès du public aux œuvres de l’esprit le droit d’auteur n’a aucun sens.

Je n’en veux pas aux orateurs de n’avoir pas évoqué cette créance d’accès du public, fut-ce pour la contredire, mais je trouve vraiment indigne et très abusif de nous avoir fait passer la mauvaise propagande d’Antoine Moreau en faveur d’une redevance minimale d’auteur pour tous et d’une rétribution des auteurs par le don via une société déjà annoncée, la SARD. Je reste atterré que dans une instance de réflexion a priori éclairée l’on ait pu nous servir un tel discours messianique. “ J’ai une bonne nouvelle” nous a confié l’inénarrable Moreau qui n’a jamais fait la différence entre un logiciel et une œuvre d’art parce que la loi, par raccroc, a élu le logiciel à la protection du droit d’auteur. Oui, mais un logiciel, ça fonctionne, c’est même ce qui le définit alors qu’une œuvre d’art, ça n’a aucun fonctionnement.

Je reste abasourdi par l’opération ultra démagogique menée par Monsieur Moreau avec la bienveillance ou plutôt la quasi somnolence du pauvre Florent Latrive qui semblait ailleurs. Ne nous a t-on pas fait passer à grand renfort de copies la licence art libre prônée par Monsieur Moreau, sacré arriviste, qui ne paraît pas prêt de distinguer le geste de son intention, l’immanent du contingent.

Mais quelle insulte, quel drame pour les travailleurs intellectuels (je vous renvoie à Jean Zay et à son projet de loi sur le contrat d’édition déposé à la chambre des députés en août 1936) de voir leur travail, leur personne et leur talent ainsi disqualifiés par ce zélateur ultralibéral. Tous se valent pour Antoine Moreau, apologue de la médiocrité selon ses propres termes.

Lorsque le micro a été passé à la salle et que j’ai tenté en vain de le saisir – je n’en veux à personne pour ma piètre capacité dans cet exercice – celui-ci a été accaparé longtemps par un zélateur de jeux vidéos cette fois qui nous a doctement expliqué que le droit d’auteur c’était le problème qu’il fallait éviter dans l’intérêt de tous, c’est à dire créateurs, producteurs et public.  C’est un point de vue intéressant, éminemment critiquable, qui n’a pas réellement été soumis à la contradiction.

Le clou du spectacle est venu avec les organisatrices – productrice devrais-je écrire – du colloque qui nous ont présenté de façon caricaturale le droit d’auteur face à la liberté émergente du public, sans que personne n’évoque jamais la dramatique concentration des médias qui réduit à néant le poids politique et contractuel des auteurs. Ils font de moins en moins le poids face à des groupes qui s’assoient tant qu’ils peuvent – et ils peuvent pas mal – sur le droit protecteur des créateurs.

En guise de conclusion, en apothéose, une étudiante organisatrice et productrice est venue remercier les cabinets Duchomle et Duchmole qui leur ont permis de financer le colloque et de nous offrir l’apéro à la fin.

C’était donc bien ça, un exercice d’école de commerce.

Sale temps pour les sociétés non commerciales.