Et par le pouvoir d’un mot – Je recommence ma vie – Je suis né pour te connaître – Pour te nommer – Liberté
Paul Éluard
Mon ami François C, confiné en Suisse, me dit que pour la survie de quelques milliers d’individus l’on confine des milliards d’êtres humains.
Il n’a sans doute pas raison, le confinement semble éviter des centaines de milliers de décès. Donc pour la survie de quelques centaines de milliers d’individus, sans doute des millions dans le ressort du globe, l’on confine des milliards d’individus. La proportion est plus acceptable et la mesure paraît donc mieux proportionnée. Mais l’est-elle ?
Pour mesurer cette proportionnalité, il faut tenter d’apprécier sinon évaluer les conséquences du confinement.
Il faut aussi remonter à la nécessité de la mesure : pourquoi confine t-on ?
Les conséquences du confinement, ce sont, entre autres, la rupture du lien familial et donc la dissociation des personnes dépendantes en EHPAD. C’est une extrême violence faite aux plus faibles : celles qui raisonnent ont tout loisir de méditer et de subir les affres de leur relégation, celles qui ne raisonnent plus mais dont la conscience peut s’éclairer – au moins peut-être – avec des visites régulières, sont poussées un peu plus vite vers la tombe.
Sorti des EHPAD, le confinement, c’est la suppression de la liberté fondamentale d’aller et venir, de converser, d’avoir un esprit et un corps en dehors de son lieu de résidence. C’est la consécration de l’extrême inégalité entre, d’un côté de la chaîne, ceux qui vivent sur un domaine et, de l’autre côté, les parents isolés avec enfant(s) dans un studio, les familles misérables où les enfants sont battus, les femmes sont battues, les hommes sont battus, les animaux sont battus, enfin, tous ces lieux où le plus faible est cogné par un ou des furieux. Le confinement c’est la mise entre parenthèse de l’accès à un juge, c’est l’envahissement de l’espace ordinairement public par la force publique afin de bien veiller qu’il ne le soit plus. Le confinement c’est la suspension de la liberté d’entreprendre, de la libre concurrence, c’est la mise à l’isolement et la mise en joue des enfermés préalables…
Alors pourquoi doit-on impérieusement soumettre les citoyens par voie de contrainte légale au confinement, à l’exclusion de toute autre mesure moins attentatoire aux libertés fondamentales et au fonctionnement normal de nos démocraties ?
Parce que nous sommes tous susceptibles de porter et de transmettre le virus. Mais s’il s’agit de cela, d’autres mesures de distanciations sociales pourraient être prises avec quelques moyens tels des gants, des masques, du gel hydro-alcoolique…
Si nous sommes confinés, c’est pour permettre aux hôpitaux, donc au service public de la santé, de faire face – ou plutôt de ne pas être trop défait – par le nombre de personnes qui vont inéluctablement échoir aux services de réanimation. Dès que les statistiques établiront que les lits nécessaires seront disponibles dans les hôpitaux pour les patients à venir, l’État lèvera l’ordre de confinement.
Si nous sommes confinés, c’est donc dans l’intérêt d’un État imprévoyant et défaillant, mais un État démocratique quand même et dont le service public de la santé est une des expressions de l’intérêt collectif.
Donc nous n’avons pas beaucoup de choix, nous aurions pu en avoir beaucoup plus, nous sommes dans un mur tellement prévisible qu’il a été prévu par d’autres mais il serait dangereux dans le temps de l’urgence et de la lutte sanitaire de déséquilibrer cet attelage qui nous porte. Si l’on peut adhérer par la voie de la raison à cette extraordinaire contrainte, celle-ci pose évidemment, au regard des conséquences individuelles et sociales la question de la responsabilité civile et politique de cet État qui a dû oblitérer le fonctionnement normal de la démocratie.
L’extraordinaire contrainte que nous subissons – et dont chacun doit ressentir le caractère anormal et monstrueux – nous oblige également à prévenir la survenance de situations similaires qui ressortiront inéluctablement d’une économie productiviste et d’un État lobbyiste en rupture avec l’intérêt collectif. Le monde physique n’est pas dissocié du monde politique, la nature n’est plus en dehors de la culture, l’appropriation corporelle et incorporelle dans un espace clos pour le champ de l’humain appauvrit forcément la collectivité et la met en risque.
Nous y voilà, c’est finalement ou bien l’État de droit qui porterait l’intérêt général ou bien l’économie dérégulée. C’est la paix ou la guerre. Nous ne sommes même pas surpris.