Essai d’ontologie phénoménologique ou « I’m what I’m »
Commentaire de la proposition de loi relative à la protection de l’identité
Notre gouvernement, même s’il avance, et pour causes, sous couvert du train de deux sénateurs, n’est guère existentialiste. Sans doute l’Être et Le Néant figure t-il encore dans la pile, sur la table de chevet de notre Président, qui meuble, dit-on, à tours de bras, les étagères restées longtemps poussiéreuses de sa bibliothèque personnelle.
Dans son essai paru en 1943, Jean-Paul SARTRE confronte l’homme à sa liberté : L’homme est condamné à être libre, à choisir, sans rapport à la raison encore moins à une mission.
La proposition de loi sénatoriale adoptée le 7 juillet par l’Assemblée Nationale (11 députés en séance, honte aux autres) et soutenue par le ministre de l’intérieur tend à combattre les usurpations de nos identités.
Il faudra qu’un jour une commission composée de psychothérapeutes nous explique pourquoi, à cette époque là, ces gens là se sont autant focalisés sur l’identité. Mais nous n’en sommes pas là.
Le court texte de la proposition de loi met en place un système relativement simple de deux puces sur les cartes d’identité : la première, dite puce régalienne enregistrant les nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance, nom d’usage, domicile, taille et couleur des yeux, empreintes digitales et photographie.
La seconde, prévue à l’article 3 de la proposition : « Si son titulaire le souhaite, la carte nationale d’identité contient en outre des données, conservées séparément, lui permettant de s’identifier sur les réseaux de communications électroniques et de mettre en œuvre sa signature électronique ».
L’article 5 prévoit la création d’un traitement de données à caractère personnel mis en œuvre par le ministère de l’intérieur, reproduisant les informations personnelles enregistrées sur la ou les puces.
« En cas de doute sérieux sur l’identité de la personne ou lorsque le titre présenté est défectueux ou paraît endommagé ou altéré, la vérification d’identité peut être effectuée en consultant les données conservées dans le traitement prévu à l’article 5. »
Puisqu’il s’agit de « protection », qui s’agit-il de protéger ? La collectivité certes, parce qu’il est fondamental, sous l’angle de l’ordre public, qu’un citoyen puisse répondre à l’appel de l’autorité légitime.
Au demeurant, l’état d’urgence n’est pas, par définition, un état permanent, du moins sous ces ciels démocratiques, et l’ordre public intéresse en premier lieux les libertés fondamentales.
Ce trait distingue d’ailleurs l’Etat moderne démocratique de l’Etat totalitaire.
Si l’on conçoit bien tout l’intérêt pour l’ordre public d’une base de données intégrant tous les ressortissants français, à l’exception des mineurs de moins de douze ou quinze ans, qui n’ont pas besoin d’un titre pour voyager ou pour utiliser un scooter, l’on peut être plus circonspect du point de vue des individus et de leurs droits.
Admettons que je « bénéficie » d’une identité (nom, prénom, date et lieu de naissance, sexe, domicile, couleur des yeux, taille, empreintes, photo) tatouée sur ma carte d’identité et dans un traitement de données automatisés à disposition de certains agents de l’administration et mis en oeuvre par le ministère de l’intérieur.
On peut critiquer avec raison l’existence en soi d’une telle base de données qui peut toujours tomber entre des mains mal intentionnées, soit par fait de piratage soit par le jeu de l’onction démocratique, qui n’assure jamais que celui qui en bénéficie paye en retour l’institution de sa reconnaissance.
Mais surtout, « I,m what I’m », comme disait Popeye, je ne veux pas devoir rendre compte à ce clone identitaire qui prétend dire avec autorité qui je suis.
Je ne veux pas que ce néant informatique prenne le pas sur l’être que je suis : « l’identité d’une personne se prouve par tout moyen ». C’est la règle de l’article 78-2 du code de procédure pénale rappelée par l’article 1 du projet de loi.
Il ne faut pas que certain « moyen » devienne péremptoire, sinon de droit, du moins en fait.
Le risque est réel et quel que soit l’importance du but poursuivi, la lutte contre les usurpations d’identité (qui s’inscrivent très fréquemment dans un cumul d’infractions, dont évidemment des infractions terroristes), ne justifie pas que que le citoyen renonce encore un peu plus à sa souveraineté de sujet pour devenir un objet.
C’est d’ailleurs bien la logique de la proposition de loi, qui, iconoclaste, associe identité et République à commerce électronique.
Et une bonne American Express Platinum, ça vous pose pas bien son homme, non ?
Quitte à associer commerce électronique ou signature électronique à carte d’identité, pourquoi ne pas faire l’inverse, associer l’identité à son existence bancaire.
L’existence précède l’essence, vous comprendrez bientôt, dès que vous aurez un peu descendu la pile M. le Président.
En attendant, déjà que j’en avais pas de CNI, ça va pas s’arranger.