« Leave it or love it ». On l’affiche, outre-Atlantique,  sur le coffre de la bagnole, sympathique slogan, si subtil jeu de mot, plus fin que « Dog Watch out ». Mais même effet.

Tant que le slogan des ultras nationalistes américains était exploité par l’étrange, pittoresque et néanmoins pestilentiel marais de l’extrême droite française, Le Pen et de Villiers, l’on se contentait juste de contempler, avec peut-être un petit frisson dans le dos, comme chaque fois que l’on se confronte, par hasard, aux mécanismes marginaux et mystérieux de la biologie ou de la faune – les virus, les blattes – en se disant, mal convaincu, « il en faut sans doute, mais ne pouvait-on éviter de les faire si laids? »

Or, Monsieur SARKOZY, alors ministre de l’Intérieur, ministre d’Etat, président du principal parti politique de droite, avait repris l’éther Ô combien volatil, explosif, cher aussi aux idéologues peu démocrates des années 30, de la relation affective entre un Etat et ses ressortissants.

Et l’on a commenté, comme s’il s’était agi d’une assertion recevable dans notre jeu démocratique.

Monsieur SARKOZY est devenu Président de la République, ce qui lui confère certes une légitimité. La légitimité s’arrête là où le contrat social et culturel qui réunit les résidents français se délite.

Monsieur SARKOZY est secondé dans ses oeuvres peu hautes par un ministre que rien ne rebutte, lui aussi.

Un dicton de droit anglais dit « remedies precede rights ». La procédure précède le droit. Avant d’entrer dans le débat au fond, il convient, dans la tradition démocratique, de respecter certaine règles de forme et de recevabilité.

Notre démocratie, qui a tant honoré Monsieur SARKOZY, n’est pas là payée en retour.

L’on nous dit, en gros, qu’il est moralement normal et politiquement souhaitable qu’un français ou un résident français aiment la France.

Je pense comme ça, entre autres à Michelet, Péguy, de Gaulle – l’historien, le poète, l’homme d’Etat – qui ont su dessiner une œuvre, mystique et émouvante, une idée de la France.

Je pense à Aragon,

« (…)

Je vous salue ma France où les blés et les seigles

Mûrissent au soleil de la diversité (…) »

Je pense à la Résistance française et à ces héros qui ont sans doute aimé assez pour vouer leur vie à la lutte contre un occupant, je pense à mon ami Léon, vieux juif rescapé, maladivement joyeux, insupportable et impeccable, père lituanien et mère polonaise, 14 ans en 1939, qui me raconte toujours la même histoire. En gros, « on n’était pas des héros, faut pas croire ça. On se posait même pas la question. C’était tout simplement insupportable, insupportable »

Je pense à Racine, qui ne m’empêche pas d’être fasciné par les conteurs Arabes, au contraire, à Pascal, Descartes, Montaigne, Villon … qui m’ouvrent vers Averroès, Avicenne …

Plus j’aime, effectivement j’aime, cette mystique française, moins « l’autre » m’inquiète.

Je souhaiterais alors que Messieurs SARKOZY et BESSON définissent ce qu’ils imaginent être un « français », ce qu’il lisent, ce qu’il voient, ce qu’ils écoutent, ce qu’il boivent, ce qu’ils mangent (cru ou cuit? bouilli ou rôti?) leurs grands hommes, leurs femmes fatales … Pas sur que nous ayons grand chose en partage.

Dans tous les cas, ils ne sont pas qualifiés ni légitimes pour définir la mystique française. Il peuvent éventuellement s’efforcer de la représenter, tant que l’électeur leur prête vie politique.

 

Ensuite qu’est-ce qu’aimer la France?

J’aime pas la France : La bureaucratie française me gonfle, l’accent flagorneur et aigu des journalistes d’entre guerres m’insupporte, j’aime pas la cuisine en sauce, le vin avec le fromage, le PSG, Le Pen, les petits marquis, les patrouilleurs en 4×4 … J’aime la France: Chénier, Ravel, Char, Eluard, Blum, Diderot, les mirabelles de Lorraine, Chopin, Paris comme Versailles … j’aime pas trop Voltaire et j’aime l’esprit voltairien, Céline est un exhibitionniste merdeux vaguement doué et très opportuniste, vivent Verlaine et Diderot …

Ces histoires d’amours et de désamours dans un espace mélangé aux autres, avec une langue mélangée aux autres, font une nationalité.

Je crains pourtant que que l’on ne confonde ces relations convergentes, affectives, complexes, subtiles, profondes, pudiques et solidaires, qui font une nation, avec « l’affection » brutale d’un client pour une pauvre fille au bénéfice exclusif d’un souteneur.

Travaillez, messieurs SARKOZY et BESSON, calculez moins sans doute, oubliez vous un peu pour mieux ressentir les mânes des anciens et des modernes qui font la France, et vous trouverez, peut-être, la voie d’un lien social et culturel. C’est important pour un homme politique … en France.