I. Déchets et ressources

Etymologie de déchet, ce qui est déchu du verbe déchoir, notion de dégradation, perte de qualité.

Le déchet est une charge, individuelle et collective. Notamment, du point de vue de la Nature, il est source de pollution, de dégradation physique, de maladie et de prolifération d’espèces nuisibles, sur mer (méduses) comme sur terre (rats ou autres animaux plus ou moins gros dont je ne suis pas spécialiste). Le déchet perturbe ainsi les écosystèmes. Sous un angle plus culturel et politique – la vie de la cité – il occupe le temps (pas seulement celui passé dans une rue bloquée par un camion poubelle) et l’espace. Il a donc un coût collectif.

Le déchet, c’est un peu comme l’impôt en France, on a longtemps imaginé au jour le jour des solutions purement matérielles pour résoudre de façon pérenne une question politique.

De la même façon que l’on considérait jusqu’au Moyen-Âge que la terre était plate, l’on a longtemps considéré le monde comme infini. La contemplation des grands espaces a non seulement inspiré à Baudelaire son poème L’Homme et la Mer :

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !

La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme 

Dans le déroulement infini de sa lame,

Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. (…) »

Mais cette contemplation a aussi fallacieusement inspiré aux hommes et femmes un espace géographique infini.

Longtemps l’on a ainsi dissocié l’écologie du politique. Une politique pouvait être écologique, mais l’écologie n’était pas une politique. Pourquoi ? Parce que la chose publique n’est pas dans l’environnement naturel, mais au lieu des constructions humaines, dans la Cité.

Le reste, l’environnement naturel, c’était juste un contexte, une sorte de gaze dans laquelle s’inscrit la société politique, celle des citoyens.

Depuis, l’on a constaté que l’environnement naturel n’absorbait pas toutes les politiques ni toutes les économies et l’on a bien été obligé de considérer qu’il faut une politique de l’environnement : sans doute les supers puissances et puissances d’hier, d’aujourd’hui et de demain ont-elles intégré au niveau de l’Etat, démocratique (Etats-Unis, Allemagne, Japon, France, Brésil…) ou moins démocratique (Russie et Chine notamment) que leur développement économique et leur persistance politique supposaient aussi la considération de leur environnement naturel comme un élément de la Cité. Après tout une catastrophe écologique majeure, celle de Tchernobyl, ne fut-elle pas à l’origine de la perestroïka, de la glasnost et enfin de la chute de l’URSS ?

Or, les théories des contrats sociaux qui portent les sociétés occidentales sont fondées sur des déclarations de droits elles-mêmes issues d’un courant philosophique dit du « droit naturel » qui va lui-même fonder le droit de propriété, sans beaucoup plus de considération pour l’espace public.

Les philosophes politiques des XVIIe et XVIIIe siècles se sont livrés à une critique explicite de la conception théologique du droit naturel : les lois humaines ne doivent plus être conçues comme l’expression d’un ordre divin.

Pour ces philosophes, au commencement, l’état de nature est asocial et l’homme jouit de libertés naturelles.

Puis, avec le contrat social, les libertés politiques se juxtaposent (LOCKE) ou remplacent (ROUSSEAU) les libertés naturelles.

Hobbes (1588-1679), Spinoza (1632-1677), Locke (1632-1704), suivis de Montesquieu (1689-1755), Rousseau (1712-1778), Kant (1724-1804), Fichte (1762-1814) et Hegel (1770-1831) s’attacheront chacun à définir ces prémisses, réelles ou théoriques, des sociétés humaines.

Nos sociétés démocratiques reposent donc sur ce postulat que l’état de nature précède l’état politique. Ainsi l’état politique ignore-t-il l’état – théorique – de nature, dont il procède, mais qui n’entre pas dans son champ.

Lorsqu’au XXème siècle des hommes politiques se sont emparés de l’état de nature, ce fut pour le pire du pire : Goebbels opposant nature et culture : « lorsque j’entends le mot culture, je sors mon revolver ». La nature, à la fois mythe et espace, fondait l’eugénisme.

Il est temps aujourd’hui de concilier espace naturel, environnement politique et culture.

Les théories des contrats sociaux qui ont porté la fin du XVIIIème siècle, le XIXème siècle et le XXème siècle ne sont plus pertinentes : l’environnement politique a rattrapé et affecté l’espace naturel qui n’est plus un simple contenant mais un espace politique, social et culturel à part entière.

La nature, reste perçue comme infiniment résiliente, extérieure et au service de l’homme. Mais nous savons que l’homme influe Ô combien sur son environnement naturel et que tout espace doit être un champ du politique et de la démocratie – au sens humaniste du terme – sauf à laisser en déshérence la souveraineté de nos États.

II. L’environnement

Force est de constater que notre environnement immédiat est constitué de la représentation que l’on s’en fait. Nous ne vivons pas dans la nature mais dans un monde des représentations et des reproductions.

Guy Debord – Société du spectacle

« Et sans doute notre temps… préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être… Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacré. »

La nature est culture ou plutôt l’opposition nature/ culture qui nous vient des premiers théoriciens du contrat social est caduque.

L’espace terrestre est unifié – les technologies de l’information et de la communication n’y sont pas pour rien – et sur terre, tout élément naturel est un élément du champ culturel à venir.

Pour considérer le champ de l’espace maritime, quand même 71% de la surface de notre globe, il est resté le lieu théorique de toutes les libertés, celui réel de toutes les licences : c’est essentiellement le territoire politique terrestre qui fonde le droit de la mer : eaux territoriales (12 miles des côtes), plateau continental et zone économique exclusive (200 miles). La mer n’est pas un espace social en tant que tel, mais un espace accessoire à l’espace terrestre ou un non lieu (utopie).

En mer, il n’y a plus de responsabilité : à la limite des eaux territoriales, les vedettes de la police rebroussent chemin. Homme libre, toujours tu chériras la mer…

Or, comme le déclare intelligemment le slogan de Nausicaa à Boulogne-sur-Mer, la mer est sur terre.

Les activités terrestres influent profondément et durablement sur l’espace maritime, laissé en jachère, sans souveraineté : par exemple les émissions de CO2 induites par nos activités économiques terrestres acidifient les océans, détruisent les structures calcaires des coraux et modifient les écosystèmes marins avec des conséquences manifestes sur la pêche. Ces mêmes émissions contribuent au réchauffement climatique, à la fonte des glaces qui s’auto génère avec le phénomène de l’albédo.

Les Etats, parce qu’ils sont des espaces terrestres, sociaux et culturels deviennent des espaces politiques souverains, sujets de droit international.

Lieux de libertés des Etats, sans souveraineté, les espaces maritimes ne sont pas sujets de droit international.

Dans un article publié sur Le Cercle Les Echos intitulé « De la souveraineté en générale et de la souveraineté numérique en particulier » Pierre Bellanger (Président de Skyrock) écrit :

« L’internet se compare à l’océan. Comme lui, l’océan est un lien universel entre tous les territoires sans en être un lui-même. La maîtrise de cette dimension nouvelle changea l’histoire du monde : ce fut la domination des mers par l’Angleterre, telle que voulue par la Reine Elizabeth 1ère, au XVIème siècle. (…)

Le principe de liberté des mers, issu du XVIIème siècle, ne fut que l’incarnation d’une domination anglo-saxonne des océans. Face à l’absence apparente d’Etat qu’est le grand large, les Etats terrestres, habitués à des adversaires de même nature qu’eux, furent pris au dépourvu. Comment contrer une suprématie fondée sur l’expansion navale et commerciale, contrôlant les lignes de communication maritimes, sans presque jamais la rencontrer sur un champ de bataille ?

Et l’affrontement se porta sur le droit : d’un côté les Etats terrestres se définissent par leurs frontières et leur contrôle, tandis que la puissance maritime se conçoit par l’ouverture et la circulation sans entrave dans un espace extraterritorialisé par définition. »

Ce n’est pas le moindre des paradoxes que cet espace marin, formidable zone écologique, ce bouillon de vies organiques et minérales, largement inexploré, soit assimilé avec quelque pertinence, par analogie politique et juridique, au cyberespace, lieu virtuel, artefact, foncièrement sans vie, ne tenant qu’à de l’esprit humain, des machines et de l’électricité.

Si comme l’écrit M. Bellanger, « l’internet se compare à l’océan », l’océan ne peut être comparé à l’internet.

Dans un remarquable article intitulé « Hobbes, les pirates et les corsaires. Le Léviathan échoué selon Carl Schmitt » paru à la revue en ligne Astérion (http://asterion.revues.org/94) Dominique Weber écrit :

« Pour Schmitt, le triomphe du principe de la liberté des mers fut, en fait, le résultat de la décision anglaise en faveur des océans, décision qui transforma la nature même d’île d’Angleterre. L’Angleterre était, certes, déjà une île à l’époque de César, de Guillaume le Conquérant ou encore de Jeanne d’Arc, et, jusqu’aux XVIème-XVIIème siècles, la conscience « insulaire » demeurait profondément « terrienne », ainsi que le montrent par exemple les sceaux anglais du Moyen Âge, semblables à ceux des pays du continent et ne montrant aucun attribut relatif à la mer. L’Île, considérée comme un territoire abrité par la mer, était alors pensée du point de vue de la terre, c’est à dire du sol et de la territorialité. La « révolution fondamentale de l’essence politico-historique de l’île » (C. Schmitt, Terre et Mer, §17, page 78) fut que, désormais, la terre fut vue et pensée depuis la mer. » (Souligné par nous)

A la liberté des mers s’oppose alors la souveraineté de l’Etat

Le droit international public trouve sa source essentiellement dans les conventions internationales (Traité bilatéraux ou multilatéraux) et dans le droit coutumier.

Les espaces terrestres sont sources de souveraineté et selon l’idéologie qui nous régit depuis le XVIIème siècle, les espaces maritimes sont des lieux de « liberté » ou plutôt de non souveraineté et d’appropriation facile, sans responsabilité.

Nous savons aujourd’hui que ces libertés prises avec l’espace maritime ne sont pas sans conséquences sur notre environnement, sur notre alimentation, sur notre santé, sur l’emploi, sur la liberté d’aller et de venir, sur l’accès à la science, et puis au fond à un principe supérieur d’égalité qui est celui qui prévaut entre les contemporains mais qui doit aussi prévaloir entre générations.

Il est nécessaire, aujourd’hui, après quatre siècles, que le contrat social soit remis sur le métier afin d’intégrer l’espace maritime comme un espace social et partant comme un espace de souveraineté démocratique.

Certes, la souveraineté appartient aux peuples dans les Etats démocratiques. Le mode de dévolution légitimant du pouvoir est ainsi le suffrage universel de la population circonscrite à un territoire. Et tous les Etats de la planète ne sont pas des Etats démocratiques. Comment s’entendre sur l’expression d’une souveraineté globale légitime sur les océans ?

La mer n’est certes pas un espace social comme l’espace terrestre, l’homme n’est pas un animal marin, et pourtant la mer est un espace social, en interaction constante avec l’environnement terrestre, qui doit trouver l’expression de sa souveraineté, sauf à rester à jamais un non lieu, abandonné par la vie.

Comment imaginer l’expression d’une souveraineté dans un élément hostile aux hommes ?

Si l’élément marin est largement hostile aux hommes, il ne l’est pas toujours et pas à tous : nombre d’îliens vivent en harmonie avec la mer, à côté d’elle et par elle.

L’on pourrait donc d’abord imaginer une citoyenneté marine de ces îliens qui leur permette d’exercer une souveraineté particulière sur l’élément marin qu’ils habitent au-delà des prolongements actuels (eaux territoriales, zone économique exclusive, plateau continental).

Ensuite, le suffrage universel est un moyen de l’expression de la souveraineté d’un peuple sur un territoire.

Force est de constater que si certains hommes habitent plus l’océan que d’autres, il n’y a pas partout de peuples circonscrits à une zone marine, quand tous les hommes sont concernés par l’espace marin : air, eau, nourriture, emploi, transports, sciences, culture, loisir…

S’il n’y a pas de peuple circonscrit à une zone marine, il n’en demeure pas moins que l’espace maritime, s’il est hors de la souveraineté des Etats terrestres circonscrits à leurs frontières, est un espace d’intérêt commun sur lequel tout homme doit exercer sa souveraineté.

Ainsi l’espace maritime passerait de cet espace de licence à un espace souverain commun à l’humanité au fonctionnement politique duquel chacun serait en droit de participer.

L’on peut imaginer à cette fin l’élection de représentants à une assemblée délibérante qui statuerait sur la mer. Les Etats du globe pourraient être les circonscriptions électorales au sein desquels les représentants seraient élus.

Le réglage fonctionnel de la dévolution légitime du pouvoir pour les océans doit être développé et concerté, mais une chose est certaine, l’océan doit passer de ce vieil espace sans règles issus de l’Angleterre du XVIIème siècle à un espace démocratique de souveraineté, d’égalité, de liberté, de responsabilité, distinct de l’adjonction de la souveraineté des Etats terrestres existants, en association avec ceux-ci.

L’environnement est donc d’abord « intellectuel » – au même sens de cet adjectif adjoint à « propriété » – avant d’être naturel.

Le monde des reproductions et des représentations définit lui-même un espace public, le monde que nous avons en partage avec les clefs qui nous permettent d’effectuer ce partage.

La propriété intellectuelle n’est qu’un moyen en vue d’un objectif d’enrichissement (qualitatif) collectif. L’appropriation n’exclut pas l’enrichissement collectif à l’instar des biens communs qui avaient cours au Moyen-Âge notamment en Angleterre et en France et qui nous restent avec les biens communaux définis à l’article 542 du Code civil :

« Les biens communaux sont ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis. »

III. Le Déchet déchu

C’est un espace occupé sur mer et sur terre et c’est une pollution. L’on doit le considérer dans l’espace public, dans le champ politique et économique et non plus comme un rebut balancé dans l’infini spatial et temporel. Le champ politique, c’est dorénavant le respect et la considération des générations futures. Puisqu’il est dans notre espace physique naturel (je réserve la question cybernétique), et si nous percevions le déchet comme un bien commun et qui serait géré comme tel par la puissance publique ou par telles entreprises privées, à l’instar de celles qui structurent le cyber espace ?

Il s’agit alors de « penser » la production et la consommation dans le temps et non plus dans l’instant.

Trois questions à cette fin :

Qui produit ? Réputation et choix politique. Acheter c’est voter. La question du « qui » est aussi celle du « où ».

Que produit-il ?

Comment produit-il ? Cette question pose celle du déchet et de sa valorisation.

IV. Déchets ou ressources ?

Ni l’un, ni l’autre, le déchet n’est pas une aubaine et doit être rapporté à sa part irréductible.

Il doit être pensé avant, pendant et après la production en considération de l’espace politique que nous souhaitons. Laissons Descartes, la séparation du monde sensible d’avec le monde des idées et votons Spinoza pour qui la nature est partout, qui ne nous laisse pas beaucoup de choix dans nos actions, mais des choix quand même, fondamentaux, d’ordre éthique. Il ne s’agit plus D’AVOIR ou de posséder mais bien D’ETRE en conscience dans un espace commun (à nos contemporains, aux jeunes générations et aux générations futures) plutôt bien fait, malgré tout le mal que l’on se donne pour qu’il en soit autrement.