I- Quels projets de lois en France sur le numérique?

Selon des déclarations du ministre de l’économie, en date du 15 juillet 2015[1], deux projets de loi sur le numérique sont en préparation.

L’un, porté par Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique, et orienté sur les lois et libertés sur internet, l’autre porté par Emmanuel Macron, ministre de l’économie, et davantage orienté sur l’innovation, l’aspect économique du numérique (Projet de Loi dit « Macron 2 »).

 

Le projet de la secrétaire d’État au numérique devait être présenté en juillet puis voté à l’automne 2015, et celui du ministre de l’économie ne devait pas être présenté avant la fin de l’année 2015.[2]

Lors de son audition par la Commission numérique de l’Assemblée Nationale, Axelle Lemaire a dévoilé certains pans de son mystérieux projet de loi.

Exemple de démocratie participative, il devait être présenté aux Français au cours du mois de juillet 2015, afin que les utilisateurs puissent formuler des observations et émettre des propositions. Las! Juillet échu et août venu, le projet de loi porté par Axelle Lemaire se faisait toujours attendre.

Il semble que l’annonce impromptue du projet Macron 2, en concurrence directe avec le projet de loi de la secrétaire d’État, ait complètement chamboulé son calendrier législatif.

Dans ce rapport, plusieurs propositions intéressent directement la propriété littéraire et artistique.[3](Rappelons que la propriété littéraire et artistique constitue l’une des deux branches, avec la propriété industrielle, de la propriété intellectuelle)

Certaines propositions émanent du Conseil national du numérique.[4]

 En premier lieu la proposition sur la liberté de panorama qui a pour objectif d’autoriser la reproduction des œuvres situées sur la voie publique ou de leurs accessoires (tels les éclairages de la Tour Eiffel).

Pour le public, et notamment les contributeurs de Wikipédia ou les usagers d’Instagram, Facebook et autres réseaux sociaux (financés par la publicité et permettant de publier des photographies), ainsi que pour les photographes urbains, une telle disposition est particulièrement bien accueillie puisqu’elle devrait leur permettre de ne plus subir autant de restrictions (bien qu’en pratique les utilisateurs des réseaux sociaux publiant des photographies d’oeuvres monumentales ne sont, à notre connaissance, jamais inquiétés).

La liberté de panorama est également portée par le rapport du Conseil National du numérique, au point 50, qui vise à encourager le développement des « communs » (néologisme issu de l’anglais « commons » ressource gérée par une communauté pour la communauté, à l’instar de Wikipédia) dans la société.

 

La liberté de panorama a également été débattue dans le cadre du projet de directive portant réforme du droit d’auteur au niveau de l’Union Européenne.

Le rapport Reda, du nom d’une parlementaire membre du Parti Pirate (frontalement opposé à un amendement déposé par le député français Jean Marie Cavada) promeut la liberté de Panorama.

Cependant, la disposition touchant à ce point a tout bonnement été écartée lors du vote du Parlement le 9 juillet 2015.

A moins que la Commission européenne décide (allant en ce sens à l’encontre du Parlement européen) d’intégrer la liberté de panorama au projet de directive, cette disposition n’aura a priori aucune chance de s’imposer au plan européen. Pour intégrer cette nouvelle règle au droit positif français, seule la voie nationale demeurera donc possible.

 En deuxième lieu, le projet d’Axelle Lemaire devrait permettre l’accès à l’audiovisuel public français pour les francophones résidant hors de France.

Le « géoblocage » – ou blocage géographique des contenus – est une question également débattue dans le cadre du projet de directive européenne. (cf infra)

 En troisième lieu, la secrétaire d’Etat au numérique a annoncé une extension législative du champ de l’INPI quant à ses missions d’innovation, avec notamment la création d’un certificat d’utilité en matière de propriété intellectuelle. Les formalités de dépôt des brevets seraient simplifiées. La propriété intellectuelle dans son entier n’est à ce jour pas l’objet de l’INPI – Institut National de la Propriété Industrielle – sauf accessoirement l’utilisation de la preuve par enveloppe soleau.

 

 En quatrième lieu, la secrétaire d’Etat au numérique a évoqué l’accès aux donnés publiques (open data), avec une volonté d’ouverture par principe avec une gratuité de réutilisation.

 

 En dernier lieu, Axelle Lemaire veut promouvoir le monde du « libre » avec d’abord le logiciel éponyme.

Cette orientation cristallise, mécaniquement, les critiques des éditeurs de logiciels.

Pour le syndicat Pro Syntec Numérique, « l’ouverture forcée des codes sources est une demande inacceptable en matière de propriété intellectuelle ». Pour l’AFDEL (Association française des éditeurs de logiciels) : « l’exclusion des éditeurs de logiciels de la commande publique au profit des projets de développement spécifique est une atteinte inacceptable au principe de neutralité technologique ».

Déclaration du 18 aout 2015 d’Axelle Lemaire sur France Info : la consultation publique doit avoir lieu en septembre. A cet égard l’avant projet de loi devra être mis en ligne afin que les internautes puissent donner leur avis. En raison de ce contretemps, la présentation du texte devant le parlement devrait être également reportée. Pour la secrétaire d’Etat ce retard s’explique par la nécessité de convaincre les politiques de la nécessité d’opérer une révision du cadre législatif construit autour du numérique.[5]

II- Le projet de directive européenne portant réforme du droit d’auteur

 

Entre fin 2013 et début 2014 la Commission européenne a lancé une grande consultation sur le droit d’auteur. Son Président, Jean Claude Junker, a fait de cette réforme une des priorités de son mandat.[6] Le rapport de cette consultation a été présenté en juillet 2014.[7]

Puis la Commission a chargé la parlementaire allemande, Julia Reda, membre du parti pirate, de rédiger un projet de rapport. Celle-ci l’a présenté au Parlement européen en janvier dernier. 550 amendements ont été déposés par les parlementaires européens.

L’objectif est de modifier la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 portant sur le droit d’auteur et les droits voisins et de l’adapter aux évolutions technologiques afin de progresser dans la construction d’un marché unique numérique.

Il s’agit également de renforcer la lutte anti-piratage et d’opérer une régulation des plateformes internet.

Le rapport Reda a mis en avant plusieurs propositions:[8]

– Aligner la protection des droits d’auteur à 50 ans post mortem et non plus 70.

– Introduire un titre unique en matière de droit d’auteur au niveau européen à l’instar de ce qui existe déjà avec le brevet unitaire et la marque communautaire. L’idée est d’aboutir à un véritable marché unique numérique, au risque de confondre la propriété littéraire et artistique avec la propriété industrielle, dont les fondements et les règles sont radicalement différents.

– Rendre obligatoires les exceptions et limitation au droit d’auteur prévues par l’article 5 de la directive du 22 mai 2001 afin d’éviter les disparités entre les Etats membres.

– Créer de nouvelles exceptions au droit d’auteur et élargir certaines exceptions d’ores et déjà existantes: citation audiovisuelle qui devrait permettre le droit au « mashup » et au remix, exception de parodie pour des créations non humoristiques, exception pédagogique plus large, permettre aux bibliothèques de mettre à dispositions des œuvres sous format numérique, liberté de panorama, liberté de référencement des œuvres via un lien hypertexte …

– Rendre les contenus en ligne plus accessibles en surmontant le geoblocking, c’est à dire le fait dans un pays déterminé de ne pas avoir accès au catalogue de VOD et permettre la portabilité des abonnements à des services audiovisuels pour qu’un abonné puisse avoir accès à son offre quand il est en déplacement.

Une telle disposition devrait permettre notamment aux français résidant à l’étranger ou s’y rendant pour le travail (à l’instar de bon nombre de parlementaires européens) de pouvoir visionner les contenus diffusés dans leur pays d’origine sans restriction.

Aujourd’hui, bon nombre de ces contenus sont bloqués en raison du principe de territorialité des droits afférent aux droits d’auteurs qui les protègent. L’idée première, engagée par la Commission, était de renverser ce principe de territorialité des droits, en vertu de laquelle les droits pour l’exploitation d’un film ou d’une série sont négociés État par État.

Cependant, la puissance du lobby français permet de douter que cette idée puisse perdurer. Les producteurs audiovisuels et généralement les cessionnaires de droits d’exploitation, soutenu par le ministère de la culture, soutiennent que la territorialité des droits permet de garantir une meilleure rémunération, et, de facto, permet la survie du cinéma français: les producteurs peuvent amortir leurs investissements et, partant, financer de nouvelles œuvres.

La France a insisté pour remplacer la suppression du principe de territorialité des droits par celui de la « portabilité » desdits droits: la territorialité demeurerait, mais un résidant national aurait la possibilité d’acheter un abonnement de musique ou de VOD dans son pays d’origine, et pourrait continuer à l‘utiliser lorsqu’il se déplace de façon temporaire ou durable dans un autre État membre de l’Union européenne.

Le 17 juin 2015 une version amendée du rapport Reda a été adoptée à une large majorité par la commission des affaires juridiques du Parlement (la commission JURI). Seuls deux parlementaires FN ont voté contre.

Cependant, pour atteindre un tel consensus, le rapporteur a du faire de nombreuses concessions et le rapport a été largement remanié, sous l’action des ayants droits et des lobbies industriels.[9]

Par exemple, la proposition d’étendre l’ensemble des exceptions et limitations de l’article 5 de la directive du 22 mai 2001 à l’ensemble des États membres a été supprimée.

Les parlementaires ont jugé que les spécificités culturelles de chaque pays rendaient impossible une harmonisation totale des exceptions.

La proposition de réduire la durée des droits d’auteur à 50 ans a également disparu du texte. Seule la proposition d’éliminer les délais d’allongements, telles les durées de guerre, a été retenue.

Sur la liberté de panorama et le droit de citation audiovisuelle, le compromis n’a pas été possible. Le recours au vote a donc été nécessaire.

Le 9 juillet 2015 une séance plénière réunissant 542 députés (sur 751) a finalement adopté le rapport Reda ainsi modifié avec une majorité de 445 voix.

Le texte adopté demeure très loin du texte original. La liberté de panorama n’est pas reprise.

Le texte est désormais devant la Commission européenne qui devra rendre ses propositions à l’automne.

La Commission n’est pas tenue par les termes du rapport modifié adopté par le Parlement. Mais, pour ne pas prêter le flan à une nouvelle critique de l’Institution européenne, elle ne pourra guère s’en écarter.

III- Le projet de loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine

 

Porté par Fleur Pellerin, ministre de la culture, et présenté comme un des marqueurs culturels du quinquennat le projet de loi affirme le principe de « liberté de création » et à veut créer un environnement favorable aux artistes et aux auteurs.

Le projet de loi a été présenté en conseil des ministres le mercredi 8 juillet 2015, il comporte 46 articles comprenant 23 mesures et devra être débattu en septembre au Parlement.

L’article 1er déclare donc que « la création artistique est libre », par fausse résonance avec la noble patine de l’article 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui dispose que « L’imprimerie et la librairie sont libres ». Le texte de l’article 1er de la loi du 29 juillet 1881 met en oeuvre l’article 11 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminé par la loi. »

Si la « libre communication des pensées et des opinions » , précurseur de notre liberté d’expression, est à la base du contrat social révolutionnaire puis républicain, la Révolution puis la République se sont bien gardées de définir ou de tenter de définir du point de vue du souverain ce qui fait oeuvre ou ce qui fait art. D’abord parce que les privilèges ayant été abolis, il était hors de question de retomber dans un fonctionnement aristocratique. Ensuite parce que c’est finalement le flux – même mineur – d’un public qui fait l’oeuvre d’art.

Ainsi a t-on érigé la liberté de communication des pensées et des opinions en droit fondamental à la fin du XVIIIème siècle et l’on a érigé à la fin du XIXème siècle la liberté d’imprimerie et de librairie, afin de garantir la mise en oeuvre de la liberté de l’article 11.

La liberté de création, qu’est-ce? Le législateur s’est bien gardé de juger ce qui fait oeuvre et le code de la propriété intellectuelle interdit au juge d’accorder le bénéfice du droit de la propriété littéraire selon son appréciations des mérites, du genre, de la forme d’expression ou de la destination d’une création (article L.112-1 du CPI)

Paradoxalement, déclarer que la « création artistique est libre » ne laisse pas d’inquiéter: doit-on comprendre que, nonobstant l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 10 de la CESDH, textes de droit positif, la création pourrait ne pas être libre?

La création pourrait-elle se comprendre comme un objet distinct de la liberté d’expression, celle-ci entendue, conformément à l’article 10 CESDH comme la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière?

Certes, la création régit le domaine des formes, et une création artistique ne coïncide pas précisément avec la définition de l’idée ni celle de l’opinion, la création artistique est étrangère a priori à tout débat d’opinion – où si elle ne l’est pas, ce n’est pas dans sa nature de création artistique – et bien qu’elle puisse susciter débat a posteriori.

La notion de création qui va de soi pour le gouvernement aurait bien mérité d’être précisée, au moins dans l’exposé des motifs du projet de loi.

Une telle légèreté pourrait justifier une censure par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’imprécision sinon de la notion de création artistique en tout cas de son champ. L’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration du 26 août 1789 impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prévenir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou le risque d’arbitraire. (2013-685 DC ; 29/12/13)

L’on peut aussi douter de la portée normative d’une telle déclaration puisque, par définition, le juge ni l’Etat ne peut élire l’oeuvre réalisée et encore moins la création artistique entendue comme le processus de création. Tout au plus le juge peut-il admettre une oeuvre au bénéfice de la propriété littéraire et artistique à l’occasion d’un contentieux s’il reconnaît dans un forme d’expression un effort de création qui reflète une personnalité originale. Or la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative. (2010 – 605 DC ; 12/05/10)

La forme, qui est l’objet de la création artistique, c’est bien le logos, le moteur de toute liberté d’expression et c’est une erreur d’avoir distingué la liberté de création de la liberté d’expression, au risque la soustraire au corpus protecteur de celle-ci.

En soustrayant la création à la liberté d’expression, le projet de loi isole la création, comme un objet en soi, en dehors du public et bien qu’il faille favoriser l’accès du public le plus large aux créations de l’esprit comme le dispose l’article 2 – 4° du projet de loi.

Même sous les régimes autoritaires, c’est l’élection du public, même très peu nombreux, qui fait la reconnaissance de l’oeuvre. Sans cette élection du public, l’on a un monument ou un objet curieux. Mais pas de création au sens artistique du terme et quel que soit le talent, le mérite ou l’injustice qui est faite à l’artiste (entendu comme artiste-auteur)

La suite du projet donne quelque fondement à notre crainte de cette étonnante conception, pour le moins institutionnelle, de l’artiste-auteur.

Aux termes de l’article 2, l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que leurs établissements publics, définissent et mettent en oeuvre une politique en faveur de la création artistique.

Sont ensuite définis à l’article 3 les objectifs de ladite politique en faveur de la création artistique:

« 1° Soutenir l’existence et le développement de la création artistique sur l’ensemble du territoire, sous toutes ses formes, et encourager l’émergence, le développement et le renouvellement des talents ;

2° Favoriser la liberté dans le choix par chacun de ses pratiques culturelles et de ses modes d’expression artistique ;

3° Développer l’ensemble des moyens de diffusion de la création artistique ;

4° Garantir l’égal accès des citoyens à la création artistique, favoriser l’accès du public le plus large aux oeuvres de la création et mettre en valeur ces oeuvres dans l’espace public ;

5° Soutenir les artistes, les auteurs, les professionnels, et les personnes morales et établissements de droit public ou de droit privé, qui interviennent dans les domaines de la création, de la production, de la diffusion, de l’enseignement artistique et de la recherche, de l’éducation artistique et culturelle, de l’éducation populaire et de la sensibilisation des publics, et qui peuvent se voir attribuer à cet effet des labels ;

6° Favoriser le dynamisme de la création artistique sur les plans local, national et international, ainsi que le rayonnement de la France à l’étranger;

7° Promouvoir la circulation des œuvres et la mobilité des artistes, la diversité des expressions culturelles et favoriser les échanges et les interactions entre les cultures, notamment par la coopération artistique ;

8° Contribuer à la formation des professionnels de la création artistique, ainsi que la transmission des savoirs et savoir-faire entre les générations ;

9° Contribuer au développement et à la pérennisation de l’emploi, de l’activité professionnelle et des entreprises des secteurs artistiques, au soutien à l’insertion professionnelle et à la lutte contre la précarité de l’activité artistique;

10° Contribuer à l’entretien et au développement par l’État, en association avec l’ensemble des collectivités publiques concernées, et à un dialogue régulier avec les organisations professionnelles et l’ensemble des acteurs de la création.

Dans l’exercice de leurs compétences, l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que leurs établissements publics, veillent au respect de la liberté de programmation artistique.

Si l’on ne peut qu’abonder, en gros, dans le sens de cette collection de bons sentiments en faveur de la création artistique – qui doit effectivement être promue – l’on regrette l’absence de perception du lien fondamental artiste auteur avec le public et l’élision de la liberté du public d’accéder aux créations artistique qui découle notamment de l’article 10 de la CESDH – liberté d’accès, sans préjudice du droit à rémunération des auteurs et artistes.

Certes le 4° de l’article 2 prévoit de garantir l’égal accès des citoyens à la création artistique mais si l’accès est égal, il n’en est pas pour autant libre.

Quant à la création artistique, si elle est libre, la politique en faveur de la création artistique vise entre autres à favoriser le rayonnement de la France à l’étranger (article 2-6° du projet).

Ainsi certains artistes-auteurs, ceux qui seront perçus par l’État, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics, comme plus apte à favoriser le rayonnement de la France, seront plus libres que d’autres et leurs oeuvres plus promues que d’autres, en violation de l’article L.112-1 du CPI et de la théorie de l’unité de l’art.

Le « rayonnement de la France » ne se décrète pas a priori, s’il survient, tant mieux, du point de vue français ou francophile, mais orienter le soutien à la création en fonction d’un éventuel rayonnement de la France à l’étranger constitue une idée dangereusement nationaliste et pour le coup étrangère au domaine de la création artistique: quid des créations en France des artistes-auteurs étrangers ou des oeuvres dont les coauteurs sont de nationalités différentes ou des oeuvres étrangères produites en France? Seront-elles jugées de moindre valeur et moins aptes à être soutenues par les personnes publiques en question?

Le projet de loi, anachronique et nationaliste nous promet des artistes et des créations d’État. La labellisation des structures artistiques, sur le fondement d’un cahier des charges (article 3 du projet de loi), est une autre illustration de cette résurgence de l’artiste d’État.

Le projet procède d’une grave erreur en n’associant pas à la liberté de création, un principe de non discrimination des artistes-auteurs et des droits à rémunération associés à une liberté d’accès du public aux créations artistiques.

Le projet de loi, autoritaire et irénique, associe dans un même courant d’intérêt les entreprises des secteurs artistiques et l’activité artistique.

Depuis Beaumarchais au moins l’on ne peut ignorer que les intérêts des créateurs et ceux des entreprises des secteurs artistiques sont antagonistes.

L’ignorer, c’est condamner les artistes auteurs à la précarité: que pèsent-ils face à des entreprises culturelles ou les intérêts des salariés et du patronat sont structurés et associés?

Après ces principes liminaires, la première partie du projet est consacrée à la musique, au spectacle vivant, au cinéma et à la littérature.

La seconde partie du projet a pour objet le patrimoine et l’architecture.

La première partie comporte plusieurs dispositions phares :

En premier lieu l’alignement du régime contractuel artiste / producteur sur celui des auteurs / éditeurs

Au chapitre II du titre unique du livre II du CPI, une nouvelle section 3 est ainsi rédigée (article 5 du projet de loi):

« Section 3

« Contrats conclus entre un artiste-interprète et un producteur de phonogrammes

« Article L.212-10- L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service avec un producteur de phonogrammes n’emporte pas dérogation à la jouissance des droits reconnus à l’artiste-interprète par les articles L.212-2 et L.212-3, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. »

Cet article est rédigé par analogie avec le régime de l’auteur prévu par l’article L.111.1 alinéa 3 du CPI issu de l’article 31 de la loi du 1er août 2006.

« Article L.212-11(alinéa 1) La cession des droits de l’artiste-interprète est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans le contrat conclu avec le producteur de phonogrammes, et que le domaine d’exploitation de ces droits soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. »

Cet alinéa est rédigé par analogie avec le régime de l’auteur prévu par l’article L.131-3 du CPI.

(Alinéa 2) « Toute clause qui tend à conférer le droit d’exploiter la prestation de l’artiste-interprète sous une forme non prévisible ou non prévue à la date de signature est expresse et stipule une participation corrélative aux profits d’exploitation.

Cet alinéa est rédigé par analogie avec le régime de l’auteur prévu par l’article L.131-6 du CPI.

(Alinéa 3) « La cession au producteur de phonogrammes de droits de l’artiste-interprète autres que ceux mentionnés au présent code est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention expresse distincte dans le contrat.

Il s’agit là de régir par le principe de l’accessoire des conventions qui ne portent pas sur la propriété intellectuelle mais qui sont accessoires à celle-ci.

La pratique contractuelle des producteurs tend à instaurer des contrats connus sous le nom de « contrats à 360°  » pour symboliser avec les 360° du cercle l’emprise totale de la production sur les revenus de l’artiste-interprète, outre l’exploitation de la fixation de son interprétation: il s’agit des exploitations dérivées (merchandising), des droits de la personnalité (image, nom …), des droits relatifs aux spectacles …

Dire que ces contrats sont aliénants relève du truisme et l’on peut regretter que ces contrats ne doivent pas figurer sur un acte séparé tel les contrats de cession du droit d’adaptation audiovisuelle accessoires à un contrat d’édition (article L.131-3 alinéa 2 du CPI)

« Article L.212-12- En cas d’abus notoire dans le non-usage par un producteur de phonogrammes des droits d’exploitation qui lui ont été cédés, la juridiction civile compétent peut ordonner toute mesure appropriée. »

Ainsi, a contrario, et contrairement à l’obligation d’exploiter à la charge d’un éditeur au bénéfice d’un auteur, le producteur peut-il thésauriser ce qui lui a été cédé par l’artiste-interprète, sauf à celui-ci de démontrer un abus « notoire » (sic) dans le non-usage.

Il convient au contraire de prévoir, dans l’intérêt, de l’artiste, mais aussi du public et des producteurs, d’obliger le producteur à exploiter les droits cédés, c’est une simple application du principe de bonne foi qui rencontre ici l’intérêt général.

On reste abasourdi par une telle ineptie écrite sans égard à la langue française: qu’est-ce que la « notoriété » a à voir avec la question de l’abus pour l’artiste? Mais sans doute pensait-on à l’adjectif « manifeste » …

 

Article L.212-13 (alinéa 1) « Le contrat conclu entre l’artiste-interprète et le producteur de phonogrammes fixe une rémunération minimale garantie en contrepartie de l’autorisation de fixation, rémunérée sous forme de salaire, de la prestation de l’artiste-interprète »

Une telle disposition est maladroite et incomplète: la rémunération de l’artiste soumise au droit du travail pour la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public et l’utilisation séparée du son et de l’image lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image peut et doit donner lieu à négociation collective, par contre rien n’est dit sur la rémunération L. 7121-8 code du travail, celle qui est fonction du produit de la vente ou de l’exploitation de l’enregistrement et sur laquelle l’artiste a le moins de prise.

 

(Alinéa 2) « Chaque mode d’exploitation du phonogramme incorporant la prestation de l’artiste-interprète prévu au contrat fait l’objet d’une rémunération distincte »

(Alinéa 3) « Sont notamment regardés comme des modes d’exploitation distincts la mise à disposition du phonogramme sous une forme physique et par voie électronique »

 

Article L.212-14 (alinéa 1) « Le producteur de phonogrammes rend compte semestriellement à l’artiste-interprète du calcul de sa rémunération pour chaque mode d’exploitation de sa prestation de façon explicite et transparente.

Cette disposition s’inspire de l’article L.132-13 du CPI pour les contrats d’édition avec ici la précision d’une périodicité – 6 mois – alors que les éditeurs de livre ne sont tenus qu’à une périodicité annuelle (article L.132-17-3 CPI dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 12 novembre 2014)

(Alinéa 2) A la demande de l’artiste-interprète, le producteur de phonogrammes lui fournit toutes justifications propres à établir l’exactitude de ses comptes »

 

Ces dispositions reprennent celles qui figurent à l’article L.132-14 du CPI pour les contrats d’édition, avec l’ablation du second alinéa de l’article L.132-14 CPI, le recours au juge pour contraindre l’éditeur récalcitrant. Nonobstant l’absence de cette disposition spécifique, l’artiste pourra bien entendu recourir au juge.

 

Article L.132-2 du CPI – « Le contrat conclu par le producteur d’un phonogramme avec un éditeur de services de communication au public par voie électronique fixe les conditions de cette exploitation de manière objective et équitable. Ces conditions ne peuvent comporter de clauses discriminatoires non justifiées par des contreparties réelles. »

L’on reste là encore circonspect devant tant de vanité. D’abord, le producteur reste tenu à l’égard de l’artiste par le principe de bonne foi prévu par les articles 1134 et 1135 du Code civil. L’on doute ainsi de l’efficacité réelle de cette disposition, qui ressemble plus à un tract électoral qu’à une disposition légale. Quant aux clauses discriminatoires, doit-on alors entendre qu’elles seront régulières lorsqu’elles seront justifiées par des contreparties réelles? Pourtant si l’objet est illicite, la cause n’y peut rien changer.

[1] « Lois numériques : Axelle Lemaire dans l’ombre d’Emmanuel Macron » Ariane Beky, 16 juillet 2015. Source : http://www.silicon.fr

[2] Axelle Lemaire et Emmanuel Macron se disputent la loi numérique » Benjamin Ferran et Cécile Crouzel, Site Le Figaro, 16/7/2015.

[3] Les nouvelles pistes d’Axelle Lemaire pour le projet de loi numérique, Compte-rendu de l’audition devant la « commission numérique » Xavier Berne, 19/3/15 Source : http://www.nextinpact.com

[4] Rapport « Ambition numérique », à télécharger sur http://contribuez.cnnumerique.fr/ , comprenant les 70 recommandations du Conseil National du Numérique.

[5] « Axelle Lemaire annonce une consultation publique en septembre sur le projet de loi numérique » Site Libération, 18/8/15.

[6] « Faire du Droit d’auteur la priorité de l’Europe culturelle », collectif d’auteurs, Les Echos 10/4/15

[7] Site de la Commission Européenne

[8] Le rapport Reda expliqué https://juliareda.eu

[9] #fixcopyright : le bilan du vote par Julia Reda 17/6/15 Source : Framablog.org