Commentaires de l’ordonnance n°2014-1348 du 12 novembre 2014…
modifiant les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition
AG
I- Un droit de l’édition distinct entre les livres et « les non livres »
La section première « contrat d’édition » du chapitre II « Dispositions particulières à certains contrats » du titre III « Exploitation des droits » de la première partie du Code de la propriété intellectuelle « Propriété littéraire et artistique » est dorénavant scindée en deux sous-sections : « Dispositions générales » (articles L.132-1 à L. 132-17 nouveau du CPI) et « Dispositions particulières applicables à l’édition d’un livre » (articles L.132-17-1 nouveau à L.132-17-8 CPI) .
Cette sous section II « Dispositions applicables à l’édition d’un livre » est elle même divisée en trois paragraphes : « Dispositions communes à l’édition d’un livre sous une forme imprimée et sous une forme numérique » (L.132-17-1 à L.132-17-4) et « Dispositions particulières à l’édition d’un livre sous une forme numérique » (article L.132-17-5 à L.132-17-7) et « Accord entre organisations professionnelles » (article L.132-17-8).
II- D’abord, il faudra donc désormais distinguer entre le droit de l’édition des livres et le droit de l’édition de ce qui n’est pas livre.
La définition du livre en droit ressort essentiellement du fisc.
Pour délimiter la frontière du livre et du non-livre, il faut prendre en compte notamment l’objectif commercial ou non de la publication en cause, et son aspect créatif ou non.
Aux termes de l’instruction fiscale parue au BOFIP le 15 juillet 2013, un livre est un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d’une œuvre de l’esprit d’un ou plusieurs auteurs en vue de l’enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture.
Pour être considéré comme un livre, un ouvrage doit remplir les conditions cumulatives suivantes :
– être constitué d’éléments imprimés ;
– reproduire une œuvre de l’esprit ;
– ne pas présenter un caractère commercial ou publicitaire marqué ;
– ne pas contenir un espace important destiné à être rempli par le lecteur.
Pour l’appréciation de ces deux derniers critères, l’ensemble conserve la nature de livre lorsque la surface cumulée des espaces consacrés à la publicité et des blancs intégrés au texte en vue de l’utilisation par le lecteur est au plus égale au tiers de la surface totale de l’ensemble, abstraction faite de la reliure ou de tout procédé équivalent.
Les ouvrages répondant à la définition fiscale du livre sont notamment les ouvrages suivants :
– les ouvrages traitant de lettres, de sciences ou d’art ;
– les dictionnaires et encyclopédies ;
– les livres d’enseignement ;
– les almanachs renfermant principalement des articles littéraires, scientifiques ou artistiques, et plus généralement lorsque les éléments d’intérêt général ou éducatif sont prédominants ;
– les livres d’image ou de bandes dessinées, avec ou sans texte ;
– les guides culturels et touristiques ;
– les répertoires juridiques, bibliographiques ou culturels ;
– les catalogues d’exposition artistique ne constituant pas de simples répertoires d’œuvres, c’est-à-dire dans la mesure où une partie rédactionnelle suffisante permet de conférer à l’ensemble le caractère d’une œuvre intellectuelle ;
– les méthodes de musique, livrets ou partitions d’œuvres musicales pour piano ou chant, ouvrages d’enseignement musical et solfèges ;
– les œuvres présentées sur fiches ou feuillets mobiles mais constituant un ensemble ;
– les ouvrages artistiques formés de reproductions, assortis de commentaires ;
Cf Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts du 15 juillet 2013 – DGFIP :
Toutefois, le nouvel article L.132-17-8-I (paragraphe 3 nouveau « accord entre organisations professionnelles » de la sous section 2 nouvelle « Dispositions particulières à l’édition d’un livre ») évoque une négociation collective via les organisation professionnelles représentatives des auteurs et des éditeurs du secteur du livre. Le secteur du livre n’inclut notamment pas le secteur de l’édition musicale, dont les organisations représentatives sont distinctes.
III- L’article L.132-1 du CPI définissait le contrat d’édition comme :
« le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre, à charge pour elle, d’en assurer la publication et la diffusion » dispose dorénavant « (…) de faire fabriquer en nombre des exemplaire de l’œuvre ou de la réaliser ou de faire réaliser sous une forme numérique (…) ».
L’obligation à la charge de l’auteur, aux termes de l’article L.132-9 alinéa 1 du CPI, « de mettre l’éditeur en mesure de fabriquer et de diffuser les exemplaires de l’œuvre » est complété par « ou de réaliser l’œuvre sous une forme numérique » ;
La réalisation sous une forme numérique est systématiquement associée à la fabrication des exemplaires de l’œuvre, objet du contrat d’édition.
IV- L’article L.132-17 du CPI qui prévoyait des résiliations de plein droit lorsque, sur mise en demeure de l’auteur lui impartissant un délai convenable, l’éditeur n’a pas procédé à la publication de l’œuvre ou, en cas d’épuisement, à sa réédition, est modifié en ce sens que la résiliation de plein droit n’intervient que dans la première hypothèse (défaut de publication). Toutefois l’auteur pourra obtenir la résiliation de plein droit de la partie du contrat portant sur l’édition sous une forme imprimée ou de la partie du contrat portant sur l’édition sous une forme numérique dès lors que « l’éditeur n’aura pas satisfait aux obligations qui lui incombent à (chacun de ces) titre(s) » après mise en demeure d’y satisfaire dans un délai de six mois (article L.132-17-2 II et III).
V- Dans le paragraphe 1 « Dispositions communes à l’édition d’un livre sous une forme imprimée et sous une forme numérique » de la sous section 2 « Dispositions applicables à l’édition d’un livre » un article L.132-17-1 nouveau oblige, à peine de nullité de la cession de ces droits, à distinguer dans une partie du contrat les conditions relatives à la cession des droits d’exploitation sous une forme numérique, lorsque le contrat d’édition a pour objet l’édition d’un livre à la fois sous une forme imprimée et sous une forme numérique. La nullité ne semble devoir atteindre que la cession des droits sur la forme numérique du livre.
L’article L.132-17-2-I oblige l’éditeur à assurer une exploitation permanente et suivie du livre édité sous une forme imprimée et sous une forme numérique. L’article L.132-12 du CPI obligeait dores et déjà l’éditeur à assurer à l’œuvre (au livre dans le texte de l’article L.132-17-2-I nouveau) une exploitation permanente et suivie mais aussi « une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession ». Cette disposition générale vaudra en tout état de cause pour le livre sous une forme numérique et l’on peut regretter le manque de méthode dans le texte nouveau pour distinguer ce qui ressort spécifiquement de l’édition, ensuite de livres et ensuite de l’édition de livres sous une forme numérique.
Le gouvernement s’est pourtant attaché à isoler l’édition du livre sous une forme numérique de son édition sous une forme imprimée. Ainsi, « La cession des droits d’exploitation sous une forme imprimée est résiliée de plein droit lorsque, après une mise en demeure de l’auteur adressée par lettre recommandée avec accusé de réception, l’éditeur ne satisfait pas dans un délai de six mois à compter de cette réception aux obligations qui lui incombent à ce titre. Cette résiliation n’a pas d’effet sur la partie distincte du contrat d’édition relative à la cession des droits d’exploitation du livre sous une forme numérique ».
Encore faudra t-il que les parties aient bien distingué au sein du contrat la partie relative à l’édition du livre sous une forme numérique, sous peine que la résiliation de plein droit atteigne l’ensemble du contrat en cas de défaut d’édition numérique avec mise en demeure de l’éditeur d’ procéder dans un délai de six mois par l’auteur.
Ces résiliations sont sans effet sur les contrats d’adaptation audiovisuelle prévus à l’article L.131-3.
VI- Complétant les dispositions désormais générales des articles L.132-13 et L. 132-14 du CPI relatives à la reddition des comptes par l’éditeur, l’article L.132-17-3 I nouveau dispose désormais que l’éditeur est tenu pour chaque livre de rendre compte à l’auteur du calcul de sa rémunération de façon explicite et transparente.
Ce qui ressortait de la simple faculté supplétive au contrat pour l’auteur sous l’empire de l’article L.132-13 CPI (« L’auteur pourra, à défaut de modalités spéciales prévues au contrat … ») ressort désormais de la règle impérative et d’ordre public.
L’éditeur adresse à l’auteur, ou met à sa disposition par un procédé de communication électronique, un état des comptes mentionnant :
1° Lorsque le livre est édité sous une forme imprimée, le nombre d’exemplaires fabriqués en cours d’exercice, le nombre des exemplaires en stock en début et fin d’exercice, le nombre des exemplaires vendus par l’éditeur, le nombre des exemplaires hors droits et détruits au cours de l’exercice ;
2° Lorsque le livre est édité sous une forme numérique, les revenus issus de la vente à l’unité de chacun des autres modes d’exploitation du livre ;
3° Dans tous les cas, la liste des cessions de droits réalisées au cours de l’exercice, le montant des redevances correspondantes dues ou versées à l’auteur ainsi que les assiettes et les taux des différentes rémunérations prévues au contrat d’édition.
Une partie spécifique de cet état des comptes est consacrée à l’exploitation du livre sous une forme numérique.
La reddition des comptes est effectuée au moins une fois par an, à la date prévue au contrat ou, en l’absence de date, au plus tard six mois après l’arrêté des comptes.
VII- Ces obligations de reddition des comptes qui incombent à l’éditeur sont sanctionnées par la résiliation de plein droit, à défaut pour l’éditeur d’y avoir satisfait selon les modalités et dans les délais prévus à l’article L.132-17-3-I, mais pour autant que l’auteur ait mis l’éditeur en demeure dans le délai de six mois à compter de la date à laquelle les comptes auraient dû lui parvenir au plus tard (date prévue au contrat ou six mois après la date d’arrêté des comptes). A défaut de réponse de l’éditeur dans les trois mois de la mise en demeure de l’auteur, le contrat est résilié de plein droit.
Lorsque l’éditeur n’a satisfait, durant deux exercices successifs, à son obligation de reddition des comptes que sur mise en demeure de l’auteur, le contrat est résilié de plein droit dans les six mois qui suivent la seconde mise en demeure. Il faut entendre alors que la résiliation est indépendante du délai de six mois imparti à l’auteur prévu à l’article L.132-17-3-II pour faire sa mise en demeure.
VIII- Le gouvernement s’est attaché à tenter de mettre fin aux situations stériles
Aux termes de l’article L.132-17-4-I, le contrat d’édition prend fin à l’initiative de l’auteur ou de l’éditeur, si, pendant deux années consécutives au delà d’un délai de quatre ans après la publication de l’œuvre, les états de comptes ne font apparaître de droits versés, ou crédités en compensation d’un à-valoir, au titre d’aucune des opérations suivantes:
– vente à l’unité du livre dans son intégralité sous une forme imprimée, à l’exception de la vente issue de systèmes de distribution réservés à des abonnés ou à des adhérents ;
– vente ou accès payant à l’unité du livre dans son intégralité sous une forme numérique ;
– consultation numérique payante du livre disponible dans son intégralité, pour les secteurs éditoriaux reposant essentiellement sur ce modèle de mise à disposition ;
– traductions intégrales du livre sous une forme imprimée ou sous une forme numérique.
La résiliation est notifiée à l’autre partie par lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans un délai de 12 mois suivant la date limite d’envoi de l’état des comptes par l’éditeur ou de sa mise à disposition de l’auteur par un procédé de communication électronique.
Ces dispositions ne sont pas applicables à certaines modalités d’exploitation d’un livre précisées par l’accord rendu obligatoire mentionné à l’article L.132-17-8.
IX- Le paragraphe 3 nouveau « Accord entre organisations professionnelles » comporte un article unique L.132-17-8 qui permet aux organisations professionnelles représentatives des auteurs et des éditeurs du secteur du livre de conclure un accord portant sur les modalités d’application des dispositions :
– relatives aux conditions de cession des droits d’exploitation de l’édition numérique d’un livre ;
– du deuxième alinéa de l’article L. 132-11 du CPI (l’éditeur ne peut, sans autorisation écrite de l’auteur, apporter à l’oeuvre aucune modification) lorsqu’elles s’appliquent à l’édition d’un livre sous une forme numérique ;
– de l’article L. 132-17-2 relatives à l’exploitation permanente et suivie d’un livre édité sous une forme imprimée et sous une forme numérique ;
– de l’article L 132-17-3 relatives à la reddition des comptes afin de préciser la forme de cette reddition, les délais de paiement des droits, les règles applicables à leur versement à l’auteur ainsi que les modalités d’information de celui-ci ;
– du II de l’article L.132-17-4 relatives aux dérogations à certaines modalités de résiliation du contrat d’édition d’un livre ;
– de l’article L.132-17-5 relatives à la réalisation de l’édition d’un livre sous une forme numérique ;
– de l’article L.132-17-6 relatives au calcul de la rémunération de l’auteur provenant de la commercialisation et de la diffusion d’un livre édité sous une forme numérique, en l’absence de prix de vente à l’unité ;
– de l’article L 132-17-7 relatives au réexamen des conditions économiques de la cession des droits d’exploitation d’un livre sous forme numérique, notamment la périodicité de ce réexamen, son objet et son régime ainsi que les modalités de règlement des différends.
L’accord pourra être rendu obligatoire à l’ensemble des auteurs et des éditeurs du secteur livre par arrêté du ministre chargé de la culture.
En l’absence d’un accord rendu obligatoire par arrêté du ministère de la culture, les modalités d’application des dispositions sus exposées sont fixées par décret en Conseil d’Etat.
X- Le paragraphe 2 « Dispositions particulières à l’édition d’un livre sous une forme numérique » reprend l’obligation pour l’éditeur de garantir à l’auteur une rémunération juste et équitable sur l’ensemble des recettes provenant de la commercialisation et de la diffusion d’un livre édité sous une forme numérique.
Dans les cas où le modèle économique mis en oeuvre par l’éditeur pour exploitation de l’édition sous une forme numérique repose en tout ou partie sur la publicité ou sur toutes autres recettes liées indirectement au livre, une rémunération est due à l’auteur à ce titre.
Dans les cas prévus de recours à un forfait, ce dernier ne saurait être versé à l’auteur en contrepartie de la cession de l’ensemble de ses droits d’exploitation sous une forme numérique et pour tous modes d’exploitation numérique du livre. Dans les cas de contributions à caractère accessoire ou non essentiel mentionnés au 4° de l’article L 131-4, une telle cession est possible. Une telle disposition pourrait justifier le recours au forfait en matière d’illustrations par exemple.
Le forfait ne peut être justifié que pour une opération déterminée et toute nouvelle opération permettant le recours à un forfait s’accompagne de sa renégociation.
Aux termes de l’article L.132-17-7, le contrat d’édition comporte une classe de réexamen des conditions économiques de la cession des droits d’exploitation du livre sous une forme numérique.
XI- Application dans le temps
A compter du 1er décembre 2016, l’auteur qui a cédé les droits d’exploitation d’un livre sous une forme numérique avant le 1er décembre 2014 peut mettre en demeure l’éditeur de procéder à la réalisation de l’édition de ce livre sous une forme numérique. Si la mise en demeure, à laquelle l’auteur procède par lettre recommandée avec accusé de réception, n’est pas suivie d’effet dans un délai de trois mois à compter de cette réception, la cession des droits d’exploitation sous une forme numérique est résiliée de plein droit.
Les contrats d’édition d’un livre conclus avant le 1er décembre 2014 sont mis en conformité avec l’article L.132-17-1 du CPI (obligation de prévoir la cession des droits d’exploitation sous une forme numérique dans une partie distincte du contrat) lorsque ces contrats font l’objet d’avenant. A défaut, la cession des droits d’exploitation numérique serait nulle.
Sont applicables aux contrats d’édition d’un livre conclus avant le 1er décembre 2014 :
1° Les obligations prévues au I de l’article L.132-17-2 (obligation pour l’éditeur de satisfaire aux obligations qui lui incombent – cf L.132-11 CPI – sous peine de résiliation de la cession des droits d’exploitation sous forme imprimée ou numérique) sont applicables dans un délai de trois mois à compter de l’entrée en vigueur de l’arrêté du ministre chargé de la culture ou du décret en Conseil d’Etat prévus à l’article L.132-17-8 CPI.
2° Les dispositions de l’article L.132-17-3 du CPI (reddition de compte pour chaque livre de façon explicite et transparente sous la sanction de résiliation du contrat d’édition de plein droit sur mise en demeure de l’éditeur par l »auteur) sont applicables immédiatement.
Mais les dispositions des deuxièmes au sixième alinéas de cet article (modalités d’établissement des comptes : nombre d’exemplaires fabriqués en cours d’exercice, stock en début et fin d’exercice, exemplaires vendus…) qui déterminent les obligations comptables de l’éditeur ne sont applicables qu’à compter de l’exercice débutant après l’entrée en vigueur de l’arrêté du ministre chargé de la culture ou du décret en Conseil d’Etat prévus à l’article L.132-17-8 CPI.
3° Les dispositions de l’article L.132-17-6 du CPI (garantie d’une rémunération juste et équitable sur l’ensemble des recettes provenant de la commercialisation et de la diffusion d’un livre édité sous une forme numérique) ne sont applicables qu’à compter du 1er mars 2015.
Pour les modalités de calcul de la rémunération provenant de la commercialisation et de la diffusion numériques d’un livre, en l’absence de prix de vente à l’unité figurant dans les contrats, ce délai court à compter de l’entrée en vigueur de l’arrêté du ministre chargé de la culture ou du décret en Conseil d’Etat prévus à l’article L.132-17-8 CPI.
4° Les dispositions prévues au 2° du II de l’article L.132-17-8 du CPI (modalités d’application de la disposition de l’article L.132-11 CPI : « l’éditeur ne peut sans autorisation écrite de l’auteur, apporter à l’œuvre aucune modification » ), entrent en vigueur pour toute édition sous une forme numérique postérieure à l’entrée en vigueur de l’arrêté du ministre chargé de la culture ou du décret en Conseil d’Etat prévus à l’article L.132-17-8 CPI.