« Il est convenu que, sauf cas particuliers, la première édition devra être réalisée dans un délai de dix-huit mois à compter de l’acceptation définitive du manuscrit. »
Il faut rappeler dans un quel contexte légal, c’est à dire dans quel contexte de contrainte légale, s’inscrit ce texte.
Le contrat d’édition, c’est quoi? Article L.132-1 du CPI : « Le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion ».
L’article L.131-2 CPI précise que le contrat d’édition doit être constaté par écrit. C’est une règle de preuve et non une règle formelle.
L’article L.131-3 du CPI précise que la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.
Quel est le cadre légal de ce droit de l’éditeur (fabriquer ou de faire fabriquer …)et de cette obligation à sa charge (assurer la publication et la diffusion):
Article L.132-11 CPI: L’éditeur est tenu d’effectuer ou de faire effectuer la fabrication selon les conditions, dans la forme et suivant les modes d’expression prévus au contrat. Il ne peut, sans autorisation écrite de l’auteur, apporter à l’œuvre aucune modification.
Il doit, sauf convention contraire, faire figurer sur chacun des exemplaires le nom, le pseudonyme ou la marque de l’auteur.
A défaut de convention spéciale, l’éditeur doit réaliser l’édition dans un délai fixé par les usages de la profession.
Les usages ne sont pas codifiés dans les codes éponymes (Code des usages en matière d’illustration par dessin du 20 juin 1978, le Code des usages en matière de littérature générale ratifié le 5 juin 1981 par le SNE, le Groupe des éditeurs de Littérature et le Conseil Permanent des Écrivains et le Code des usages pour la traduction d’une œuvre de littérature générale du 17 mars 1993).
Dans la clause étudiée, le contrat stipule 18 mois « sauf cas particuliers ». Ces cas particuliers ne sont pas définis dans le contrat. Ils s’analysent en bon droit comme une condition suspensive qui permettrait de différer l’obligation de l’éditeur « d’assurer la publication et la diffusion de l’œuvre ».
Il s’agit d’une stipulation contractuelle dérogatoire sinon contradictoire avec le principe de publication et de diffusion. Elle doit être interprétée restrictivement, si toutefois elle demeure valide.
Au demeurant l’article 1174 du Code civil dispose que « toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition suspensive de la part de celui qui s’oblige. »
Ainsi, la clause en question ne peut s’interpréter comme donnant la faculté pour l’éditeur de fixer des cas particuliers qui lui permettraient de déroger à son obligation de publication et diffusion: une telle clause serait alors une obligation sous condition potestative, nulle de plein droit.
Il faut donc cantonner les « cas particuliers » visés par cette clause aux seuls cas de force majeure, telle que définie par l’article 1148 et qui nécessite la démonstration d’un fait extérieur, irrésistible et imprévisible, ce qui est quasiment impossible à démontrer pour un éditeur, sauf attaque martienne de l’imprimeur, et encore, puisque l’éditeur à toujours la possibilité de recourir à un autre imprimeur.
Deux mots de conclusions : Ce n’est pas forcément tant les clauses nulles que les clauses valides qui portent le plus de torts à un auteur : une clause semble nulle et figure dans le contrat d’édition? Cela permettra, le cas échéant, de faire tomber la clause, voire le contrat, en cas de conflit. Certes il faudra, pour l’auteur, prendre l’initiative du contentieux.
Par contre, pour exemple de clause valide, un contrat fixe un forfait, toujours possible en matière d’illustration, pour la première édition (article L.132-6 du CPI). C’est légal, mais ce n’est sans doute pas souhaitable. Sauf si le forfait est à la hauteur …
A ce sujet, pour terminer, ce n’est pas parce que le contrat stipule une rémunération forfaitaire que l’éditeur est exempté de son obligation de rendre compte au moins annuellement.
Ce sera l’objet de la prochaine chronique.
Le droit apparaît trop souvent comme une sorte de magie incantatoire : le droit a toujours un sens moral, expression d’une civilisation.
C’est parce qu’on oublie ce sens moral que certains peuvent proposer des contrats iniques et illégaux, voire pas de contrat du tout, et avoir leurs entrées au ministère de la culture.
Vôtre,